lundi 30 mars 2015

ma première (courte) nouvelle.

        Ses chaussons, dont elle écrasait l'arrière par flemme de les enfiler en entier, frottaient mollement sur le parquet de la chambre. Ce bruit avait pour habitude d'énerver tout le monde dans la maison, Lucy y compris, mais c'était son rituel. 
Avant d'avoir fini son café, elle ne prenait pas le risque de se suspendre en équilibre sur un pied pour passer l'élastique de ses isotoners sur son talon. Le jeu n'en valait pas la chandelle. 
Elle se traina jusqu'à la cuisine, puis jusqu'à la cafetière dont elle jeta la dosette séchée de la veille pour la remplacer par une neuve. Dans le salon, une dispute sur fond de chuchotements menaçants lui indiqua que ses enfants étaient réveillés. La négociation pour la télécommande : un autre rituel de la famille. 
Lucy hésita à peine le temps d'un battement de cils et repoussa l'idée de franchir la porte du salon pour s'en mêler. Dans la cuisine, les vapeurs chaudes du café étaient sa priorité. Déjà, l'odeur commençait à délier ses muscles et extraire son cerveau de sa mélasse matinale. 
Lorsque la cafetière eut fini son affaire, Lucy prit la tasse par l’anse en grimaçant lorsque son doigt toucha par maladresse la céramique brûlante. Elle la porta à sa bouche, mais se ravisa avant d'en prendre une gorgée. Si la douleur sur son doigt était partie aussi vite qu'elle était venue, Lucy doutait qu'il en soit de même en se cramant la langue. 
Elle bâilla à s'en faire pleurer, regarda à regret la chaise qui l'attendait et s'en détourna pour s'engager à nouveau dans le couloir. Aujourd'hui n'était pas un dimanche comme les autres, et, malgré sa courte nuit, elle ne pouvait pas se laisser aller à traînasser. 
La tasse claqua en heurtant la surface du meuble de la salle de bain. Quelques secondes après, les ressorts du matelas dans la pièce voisine grincèrent en réponse. Lucy souffla d'agacement. 
Avec le réveil précoce de son mari, elle n'aurait sans doute plus que vingt minutes devant elle avant qu'il ne débarque avec son énergie à revendre et son impatience inutile. Elle tourna le robinet de la douche et fit glisser ses chaussons loin de ses pieds. Un simple roulement d'épaules suffit à libérer les bretelles de sa nuisette bleu-marine qui glissa jusqu'à ses hanches. 
Lucy libéra ses bras et secoua son bassin. La nuisette se souleva comme la jupe d'une écolière, mais resta en place. Lucy renouvela l'opération sans plus de succès. Elle se mordit alors l'intérieur de la lèvre en se tournant vers son miroir. Ses sourcils assombrirent son visage lorsque son regard se posa sur son reflet. D'un geste sans douceur elle pinça un bourrelet sur sa hanche. Sa main migra ensuite sur la peau de son ventre dont les vergetures lui extirpèrent un nouveau soupir. 
Finalement, elle attrapa sa nuisette et lui fit franchir sans ménagement le relief saillant, souvenir de son passage de femme à maman. 
Elle entra dans la douche, d'abord un pied pour vérifier la température, puis entièrement. Elle n'avait jamais trouvé qu'une bonne douche, ça réveille. Pour elle, une bonne douche c'était de l'eau bien chaude et au moins trente minutes dessous à profiter de son ruissellement avant d'ouvrir la moindre bouteille de gel douche. 
Mais elle était incapable de se souvenir avec exactitude de la dernière fois où elle avait pu en prendre une. Au lieu de cela, elle coupa l'eau à regret, attrapa la bouteille de shampoing, la secoua pour faire descendre le reste de produit, et se frictionna la tête. Elle renouvela l'opération avec le gel douche. L'air frais commençait à maltraiter sa peau mouillée. Un frisson la secoua juste au moment où elle rallumait l'eau. 
Une bonne douche, ça ne réveille pas, se dit-elle. Mais se geler les fesses sous la douche, ça, c'est efficace ! 
Lorsque l'eau eut fini de retirer toute la mousse, elle attrapa une serviette et l'enroula autour d'elle. Elle la fixa avec une pince crabe, secoua sa tête d'avant en arrière avant d'enfermer ses cheveux dans un turban trop serré et bu, enfin, sa première gorgée de café. 
Lucy se promit de s'offrir, dès que tout cela serait fini, le luxe de tout envoyer promener juste une heure, le temps d'un bain. 
D'ici là, elle serait patiente. Tout allait bien se passer. Elle s'était endurcie ces derniers mois, peut-être un peu tard, mais elle refusait de gaspiller son énergie en regrets inutiles. Aujourd'hui, plus que jamais, elle allait avoir besoin de tout son courage. 
De retour dans sa chambre elle ouvrit sa commode en quête de vêtements. Qu'allait-elle pouvoir se mettre ? Pas son jogging du dimanche, surtout pas son jogging du dimanche. Elle trancha pour un jeans skinny gris, celui qui mettait en valeur ses fesses d'après son mari. Elle se demanda si en dépit des circonstances, il aurait encore envie de glisser ses mains dans les poches arrière pour l'attirer jusqu'à lui. 
Elle l'enfila, rentra son ventre pour le boutonner et resserra les bretelles d'un soutien-gorge à balconnet noir qui n'épousait plus vraiment les formes de sa poitrine depuis qu'elle avait perdu du poids. L'ironie de la vie avait fait fondre la seule partie de son corps dont elle aimait les rondeurs. 
Elle acheva sa tenue avec un top en coton dont les manches chauve-souris et le col échancré lui donnaient un air décontracté, mais féminin l'air de rien.De retour dans la salle de bain, elle entama sa routine beauté. Déo, dentifrice, crème de jour, fond de teint, anticernes et poudre matifiante. Ses gestes étaient mécaniques. Un rituel de plus qu'elle avait respecté chaque matin depuis qu'elle avait commencé à se maquiller. Les signes de fatigue une fois disparus, elle attrapa son vanity qu'elle vida à moitié dans l'évier. 
Elle écarta de suite les rouges à lèvres, le mascara et l'eye-liner. Il ne s'agissait pas d'avoir l'air de se préparer pour partir en soirée. Ce qu'il lui fallait, c'était un maquillage rassurant, suffisant pour cacher ses angoisses, mais pas au point de lui donner une mine heureuse. 
Elle jeta son dévolu sur un duo d'ombres à paupières mattes, couleur peau. Avec le plus clair, elle habilla sa paupière mobile puis l'étira à l'aide d'un pinceau jusqu'à mi-hauteur de ses sourcils. Avec le plus foncé, elle intensifia le coin extérieur et le creux de sa paupière. Aux yeux de ses enfants, elle n'aurait sans doute même pas l'air maquillé. Difficile, pour des garçons de huit et douze ans, de prêter attention à ce genre de détails, mais Lucy savait que la nouvelle serait moins dure à avaler si elle donnait l'impression de bien la gérer. 
Elle inspira avec lenteur pour reprendre le contrôle de ses émotions et faire disparaitre le rouge qui tentait de s'installer dans ses yeux. Tout allait bien se passer. La vie, malgré son ironie, reprendrait le dessus et dans quelques semaines, quelques mois peut-être, la priorité des deux garçons serait à nouveau de garder pour eux la télécommande. 
Lucy tenta un demi-sourire. Pas un large qui rayonne de bonheur ou d'amusement, ni un rapide qui sent le faux-semblant, un sourire de maman.Elle libéra ses cheveux, jeta sa serviette sur le rebord de la baignoire, attrapa sa tasse et sortit. 
Elle s'arrêta un instant à l'embrasure de la cuisine. Son mari était dos à elle, assis à table devant un café. Il tourna la page de ce qui sembla être un journal et avala une gorgée avant de se replonger dans sa lecture.Lucy haussa un sourcil. Son mari aurait-il changé au point de s'intéresser à l'actualité de si bonne heure ? Elle se pencha sur le côté et aperçu un prospectus d'articles de sport. Son erreur la fit sourire. Il était toujours le même, en dépit de la situation. 
Lorsqu'elle entra, il se détourna des baskets de running et posa les yeux sur elle. La surprise se lut sur son visage. Son regard la balaya de la tête aux pieds et s'attarda un instant sur son jeans. Une fois encore, Lucy sourit. À ses regrets se mêlaient malgré elle les souvenirs d'une belle histoire. 
— Il faut leur dire, lança-t-elle. 
— Maintenant ? regretta-t-il en regardant sa tasse à moitié pleine. 
— On pourra toujours attendre, il n'y aura jamais de bon moment. Alors oui, maintenant. 
Il soupira d'agacement, termina d'une traite son café et se leva. Il posa sa tasse ainsi que celle de sa femme dans l'évier et s'immobilisa en la fixant.L'estomac de Lucy se serra. Elle fit demi-tour pour couper court à cet échange trop intime pour elle et se dirigea vers le salon.Les deux garçons étaient vautrés sur le canapé. Sur la table basse, un paquet de céréales attendait d'être débarrassé. À la télé, un humanoïde se battait contre une araignée géante.Lucy prit la télécommande et l'écran s'éteignit. Les garçons râlèrent en coeur, mais leur père ne leur laissa pas le temps de négocier. 
— Asseyez-vous correctement, les reprit-il. On a quelque chose à vous dire. 
Ignorant les plaintes et les soupires de ses fils, il repoussa une jambe pour se faire une place et s'assit. Lucy l'imita et se posa à ses côtés. Elle aurait voulu prendre sa main pour se donner du courage, mais elle suspendit son geste en se souvenant de la triste réalité.Elle reporta son attention sur ses enfants qui seraient désormais sa seule source de réconfort. 
— Tout d'abord, annonça-t-elle. Vous devez savoir que nous vous aimons et que rien de ceci n'est de votre faute... 

vendredi 20 mars 2015

les patates aiment les bananes

C'est l'une de mes plus belles histoires d'amitié. Pourtant ça avait mal commencé. Avec nos caractères bien trempés et nos idées arrêtées, on a gentiment commencé par se détester.

Et puis avec le temps, il y a eu quelques fous rires, des conversations futiles, des trajets en commun et finalement un lien.C'est ma meilleure amie, le genre que je peux réveiller en pleine nuit pour lui dire que mon bébé arrive et qui tombe du lit, saute dans un jogging et déboule en courant. Le genre qui se rhabille à 23h la veille de son examen pour m'amener une clope parce que j'ai pas le moral. Le genre avec qui on rit tellement qu'on pleure jusqu'à attraper des courbatures. Avec qui on est capable de prendre des résolutions à la con, comme aller courir parce que, bon, c'est avec elle qu'on le fait ! Bref, du genre qui nous fait dire que la vie est bien plus facile avec une alliée.
Et puis la semaine dernière, elle est partie. 456 km selon Mappy. 
Une accolade rapide sur un trottoir, une dernière blague et on est partie chacune de notre côté, le plus vite et le plus dignement possible. Aussi simple que ça.
Depuis je me force à ne pas y penser. Entre les messages, les vidéos, les photos, on est presque ensemble au quotidien. Même si c'est pas pour rien qu'on s'appelle pas. La vie n'est facile ni pour elle, ni pour moi actuellement, et, s'il est aisé de se remonter le moral par message, il est plus compliqué d'entendre la peine de vive voix sans pouvoir joindre le geste à la parole. Alors les appels viendront avec le temps, lorsqu'on aura pris de nouveau nos marques.
Mais aujourd'hui, c'est un jour particulier. Son anniversaire. Je ne donnerai pas son âge, disons juste que le meilleur est derrière elle...
Je voulais qu'elle sache que je pense à elle. Je voulais que ça la touche, mais aussi que ça la fasse rire. Je voulais que ça ressemble à aucun autre cadeau, un petit quelque chose qui ne pouvait être compris que de nous deux.
Quand j'ai appelé la fleuriste pour lui expliquer mon souhait, elle a ri sans retenue. « Mais, madame, ais-je tenté d'expliquer. C'est parce que c'est le surnom que je lui donne ». Nul doute que j'ai du faire parler de moi ! Enfin, si le ridicule tuait, je n'aurais pas vécu très longtemps.
Alors, bon anniversaire, ma patate ! je resterai ta banane aussi longtemps que tu me supporteras !