Ça fait treize ans que je suis maman. Treize ans seulement,
ou déjà treize ans, ce n’est qu’une question de point de vue. Certains
penseront que treize ans ce n’est pas grand-chose sur l’échelle d’une vie de
maman, même pas vraiment suffisant pour se lancer dans une rétrospective. D’autres
me diront que treize ans ça compte pas parce que c’était la partie facile, que
l’adolescence, là, on touche vraiment au challenge d’être maman. Treize ans
seulement et pourtant.
En treize ans j’ai déjà été tellement de mamans.
Comme tout le monde, je le souhaite, les années, les rencontres,
les expériences, les galères, les victoires et les conflits m’ont fait évoluer.
Comme tout le monde, je le souhaite, cette évolution ne s’arrêtera jamais. Parce
que cesser d’évoluer, c’est se laisser mourir.
Je ne regarde donc pas d’un œil négatif la maman inexpérimentée
qui vit le jour le 6 octobre 2003. Ma naïveté, mes coups de gueule, mes doutes
et même mes victoires de l’époque que je ne referai sous aucun prétexte aujourd’hui,
n’éveillent aucune honte, aucune déception. J’écrivais l’histoire de ma vie de
mère avec mon histoire personnelle et énormément de bonne volonté. J’étais
jeune, mais résolue à fonder une famille et accablée par la pression du regard
des gens, qui à 19 ans, n’attendaient que de me voir échouer. Du moins, j’en
était convaincue.
Ma fille devait donc être parfaite. Et d’une simple phrase,
ce qu’il fallait démontrer est chose faite. La perfection (parce que j’avais la
naïveté de la croire réelle) était ce à quoi j’aspirai pour l’avenir de ma
fille. Et en ce sens, je ne m’en sortais pas trop mal. Souriante, polie,
empathique, plutôt silencieuse et calme ; j’avais installé confortablement
ma fille dans le moule de l’enfant socialement irréprochable. Et durant de
nombreuses années, les compliments et les éloges me confortèrent dans ce modèle
où je construisais à la place de ma fille le personnage qu’elle devait être aux
yeux du monde au lieu de l’accompagner à devenir ce qu’elle souhaitait et
pouvait être.
Et puis, la petite enfance est devenue mon métier et j’ai
acquis des connaissances et de l’expérience. J’étais une maman mieux armée,
désireuse de changer, avide d’épanouissement pour mon enfant. J’avais à cœur de
tout analyser, de tout comprendre, de tout décortiquer. Et j’ai commencé à me
poser pour la première fois la question de l’identité personnelle au milieu de
la bienséance sociale. Comment, noyée sous la pression de ce qu’elle devait être,
ma fille pouvait trouver qui elle désirait être ?
La question de l’épanouissement voyait enfin le jour. Mais bridée
par des années de comportements dictés et récompensés, ma fille ne pouvait pas
me suivre comme par déclic. Je dialoguais, j’écoutais, je creusais, mais aussi
maladroite l’une que l’autre, nous n’arrivions pas à atteindre cette nouvelle
aspiration.
J’ai donc renoncé.
Durant quelques temps, l’image de l’enfant modèle était une vitrine idéale pour vendre la professionnelle que j’étais. Je me suis donnée toute entière à aider les autres enfants, à conseiller les autres parents et j’ai laissé ma fille faire son chemin en parallèle. Je ne suis pas fière de me souvenir de cette époque où je m’épuisais au travail tandis qu’elle allait malade à l’école. Mais je ne regrette rien. Car rien n’est bon ou mauvais. De cette époque où mon attention était portée à l’extérieur de ma maison, ma fille a profité de l’absence de pression. Auprès de son père, elle a consolidé les bases. Le rire, le jeu, la confiance, le travail. Mon absence leur a laissé la place d’essayer à leur manière. Et cette manière valait bien les miennes. Imparfaite mais bienveillante.
Durant quelques temps, l’image de l’enfant modèle était une vitrine idéale pour vendre la professionnelle que j’étais. Je me suis donnée toute entière à aider les autres enfants, à conseiller les autres parents et j’ai laissé ma fille faire son chemin en parallèle. Je ne suis pas fière de me souvenir de cette époque où je m’épuisais au travail tandis qu’elle allait malade à l’école. Mais je ne regrette rien. Car rien n’est bon ou mauvais. De cette époque où mon attention était portée à l’extérieur de ma maison, ma fille a profité de l’absence de pression. Auprès de son père, elle a consolidé les bases. Le rire, le jeu, la confiance, le travail. Mon absence leur a laissé la place d’essayer à leur manière. Et cette manière valait bien les miennes. Imparfaite mais bienveillante.
C’est à ce moment-là que je devenue mère pour la seconde
fois. J’avais pour habitude de dire que la première avait vu le jour dans un
conte de fée alors que la seconde avait été porté dans la réalité. Elle avait
vécu de l’intérieur mon impuissance et ma peur. Mon incompréhension et mes
doutes. J’ai dû construire avec cette deuxième naissance une nouvelle joie d’être
maman. Et je l’ai laissé me montrer. J’ai avoué avec soulagement que je pouvais
me tromper et je l’ai accompagnée dans ce qu’elle devenait au jour le jour. Voyant
avec surprise, parfois agréable, parfois déstabilisante, les changements que
cette nouvelle vie apportait à mon aînée. La liberté pour la plus jeune d’exprimer
ses émotions, de verbaliser ses envies et son mécontentement a d’abord été bouleversante
pour la première, mais a finalement réussi à lui montrer la voie, là où moi je
n’y arrivais pas.
J’ai suivis le mouvement. Je suis devenue un des quatre
acteurs du bonheur personnel de ma famille et j’ai fait le deuil de mon statut
de chef d’orchestre. Bien sûr, les éloges sont devenus plus rares et je constatais parfois avec impuissance ma difficulté à éveiller ma plus jeune au monde qui l’entourait,
mais je me sentais plus en accord avec moi-même. J’étais sur la bonne voie.
J’ai quitté mon travail, passé du temps auprès de mes
enfants, redécouvert comme il était agréable d’avoir le temps de discuter, de
rire, de jouer avec elles. J’ai découvert aussi à quel point c’était éreintant !
J’étais une maman fatiguée mais épanouie et je n’aspirais plus à rien si ce n’est
à la vie dans le présent.
Et aujourd’hui ? Je me bats toujours pour que la plus
jeune s’ouvre avec respect au monde qui l’entoure, et pour que la première s’ouvre
davantage à son monde intérieur. Et puis je m’épuise à maintenir entre elles un dialogue
courtois et empathique. Peut-être jusqu’au jour où je lâcherai
prise, comprenant que je fais fausse route, qui sait ? Mais la volonté est
toujours la même, l’envie de bien faire à changer de cible tout au long de ces
treize années mais elle est toujours présente. Et aujourd’hui, je veux leur
offrir ni plus ni moins que l’impossible.
Si j’ai appris une chose de mes filles, c’est leur
potentiel. Cette capacité, dont je n’ai jamais su mesurer les limites d’apprendre,
de grandir, de rêver, de s’adapter, de me surprendre… m’a forcé tout au long de
ces années à repousser les miennes. Et j’ai pris conscience de ce que Marx
Twain avait si bien compris lorsqu’il disait « ils ne savaient pas que c’était
impossible, alors ils l’ont fait. » à savoir que nos limites ne seront
plus celles de nos enfants. Elles sont déjà obsolètes dans leur tête s’ils ont
la chance d’être encouragés à penser par eux même. Alors, après avoir accepté
que je ne devais plus ouvrir les portes à leur place, je prends soin à présent
de n’en fermer aucune. Là où j’aurais, il y a quelques années à peine, répondu
que c’était impossible, je leur laisse à présent le droit de voir plus loin que
moi et de penser différemment de moi. Si c’est possible, nous n’avons encore
pas trouver comment le faire. Mais peut-être est-ce toi un jour qui nous
montrera.
Après tout, l’avenir ne nous appartient déjà plus. Il est le
leur et ils le modèleront à leur façon. Peut-être le rendront-ils meilleur, si
on leur permet de croire en eux.