On a
tous une personne qu'on a aimée puis perdue. Une personne à qui on
pense parfois et à qui on aurait des choses à dire. C'est normal.
C’est sain.
Parfois,
je pense à mon grand-père avec tendresse et je voudrais lui parler
de mes enfants, de mes projets, des arcs qu'il nous fabriquait
lorsque nous étions petits. Je regrette de n'avoir jamais su lui
dire qu'il comptait, parce que j'étais trop petite. Et si je le
pouvais, aujourd'hui, je le ferai.
Je
pourrais lui écrire une lettre, qu'il lirait par-dessus mon épaule,
ou pas. Je ne sais pas.
En
tout cas, j'aurais envoyé le message.
Je
comprends donc sans difficultés le besoin de certains de ne pas
couper les ponts. De ne pas passer complètement à autre chose.
Pourtant,
j'avoue que, chaque fois que je vois sur un réseau social un message
à l'intention d'une personne qui n'est plus là, ça me gêne.
Déjà
parce que, peu importe les publicités, aucun opérateur internet ne
couvre l'au-delà.
Imaginer
que le message arrivera parce qu'on l'a mis sur le réseau social le
plus visité est aussi fou que crier devant sa télé pour encourager
son équipe préférée.
Mais
au-delà de cela, s'il suffisait de le dire ou de l'écrire pour que
les êtres qui nous manquent nous entendent, pourquoi le faire en
dénigrant toute forme d'intimité ?
Qu'est-ce
que nous apporte ces « tu me manques » à destination de
la seule personne qui ne possède plus d'écran pour le lire ?
Je
suis touchée de lire des messages à propos du ressenti des gens, de
leurs émotions, de leurs sentiments. Lorsque j'ai l'impression que
ce message m'est destiné entre autres.
Mais
lorsque je tombe sur ces déclarations privées, j'ai l'impression
qu'on me force à prendre le rôle du voyeur devant son écran. Et ça
me gêne.
Il ne
s'agit pas seulement de compter les anniversaires de nos défunts, le
procédé est le même pour les enfants.
On
peut être fier du premier pipi dans le pot de notre bébé. De sa
première dent qui lui donne cet air si marrant. Et on peut avoir
envie de le crier au monde entier. Et ce, même si le monde entier
n'y porte pas grand intérêt.
Mais
s'adresser à son enfant, en passant par Facebook, pour lui dire
qu'on l'aime. À quoi ça nous mène ?
N'est-il
pas plus efficace d'éteindre son ordi et de le lui dire en face ?
De le couvrir de câlins au lieu de le mitrailler de photos à
poster ?
Et si
on veut graver l'instant, avec toute l'émotion qu'on a ressentie en
voyant ce premier pipi, n'est-il pas plus efficace de lui écrire un
journal, qu'il pourra découvrir plus tard plutôt qu'un post qui se
perdra au milieu des vidéos de chats et autres demandes d'aide pour
des jeux ?
Oui,
il y a des êtres qu'on aime au point de vouloir le dire au monde
entier, mais les plus belles déclarations sont celles qu'on murmure,
sans public devant qui s'illustrer.